A.BERTOLINI (VA): E.PIOLLE RISQUE LA CORRECTIONNELLE
L’AFP si prompte s’agissant des élus de droite et les médias font régner un silence pesant sur l’ouverture d’une enquête préliminaire à propos des conditions d’acquisition du siège du Crédit Agricole annoncée par Me Thierry Aldeguer mardi. Il n’y a pas de précipitation pour informer les grenoblois, c’est le moins qu’on puisse dire.
DES AIRBAGS TRÈS NOMBREUX POUR PIOLLE
La mise en cause du Grand Timonier et d’une puissante banque se heurte visiblement à des airbags très nombreux. Pour eux cette affaire est inimaginable s’agissant du pourfendeur des banques, du justicier donneur de leçons. Dans la culture dans laquelle baignent les observateurs, autant les doigts dans le pot de confiture de la droite est naturel, autant celui de la gauche et des Verts est contre-nature.
UN JOURNALISTE VA AU FOND DU DOSSIER
Ces invariants culturels pèsent lourd dans l’information reçue par nos concitoyens qui sont ainsi formatés en faveur d’un camp. Comme si les hommes n’étaient pas tous des hommes avec chacun leur part maudite.
Alexandre Bertolini qui vient de publier un article (1) sur l’affaire des marchés sans appels d’offres consentis à l’association amie d’Eric Piolle ignorait l’ouverture de ce nouveau front. Il traite « seulement » du premier dossier mais en allant au fond. Ça fait plutôt mal à Eric Piolle.
SANS MISE EN CONCURRENCE COMME LE DEMANDE LA LOI
Il rappelle la cruauté des faits : « la chambre régionale des comptes avait épinglé les pratiques de l’édile isérois dès 2018. L’enquête, ouverte au printemps 2018, vise à établir si l’association locale Fusées « avait été privilégiée en se voyant attribuer l’organisation des éditions 2015 et 2016 de la Fête des Tuiles par les services de la Ville de Grenoble, sans faire de publicité ni de mise en concurrence comme la loi l’exige », pour des montants respectifs de 123 000 et 128 000 euros. Selon la mairie, une mesure de publicité a été effectuée par le biais d’un « appel à idées ». La chambre observe toutefois que cette démarche ne constitue pas une procédure de publicité et de mise en concurrence.
ELLE A DÉPOSÉ LA MARQUE AVANT LE MARCHÉ !
"Un élément problématique car l’association Fusées n’était pas la seule à pouvoir répondre au besoin de la commune et ne disposait d’aucune exclusivité sur ce « spectacle » lors de la passation de marché, qui aurait rendu obligatoire de contracter avec elle. D’après la chambre régionale des comptes, elle a fait savoir seulement le 17 avril 2015 qu’elle déposait la marque « Révolution en cours », nom du spectacle pour la « Fête des Tuiles », c’est-à-dire durant même la passation du marché.
5 PAGES PAYÉES 38 800 €
Précisant : « L’association n’est pas à l’initiative de l’élaboration de ce ‘spectacle’. Avant la passation du marché, l’association a été payée 38 800 euros par la commune, suite à un devis du 14 novembre 2014 et de deux factures du 27 novembre et du 15 décembre 2014, dont l’objet est la conception des journées de Tuiles. L’existence de relations contractuelles ayant cet objet et antérieur au marché n’a pas été signalée au service des marchés publics. Aucun contrat n’a été signé et l’ordonnateur n’a produit à la chambre, pour justifier le paiement de 38 800 euros, qu’un document préparatoire de cinq pages et un autre document non daté, présentant la fête, ce qui est succinct au regard du prix de la prestation.
IL N'A JAMAIS RENDU COMPTE AU CONSEIL MUNICIPAL
"Il n’a jamais rendu compte au conseil municipal de cet engagement, ce qui constitue un manquement important aux obligations de transparence », rapporte l’organe de contrôle financier. La chambre observe aussi que cette association, créée fin 2011, a déclaré un chiffre d’affaires de seulement 7 000 euros en 2012, 34 000 euros en 2013 et 32 000 euros en 2014, « sans commune mesure » avec celui rapporté par l’organisation de la « Fête des Tuiles ».
LES FAITS ÉTABLIS DEPUIS 2 ANS ET DEMI : AUCUN JUGE SAISI
Sur le déroulé de l’affaire : « En mai 2019, deux Grenobloises proches de l’ancien ministre et ex-maire de la ville Alain Carignon (LR), principal opposant à Éric Piolle, ont déposé une première plainte, puis une seconde contre X en septembre 2019, avec constitution de partie civile, qui n’a pas donné lieu à la saisie d’un juge d’instruction. Me Thierry Aldeguer, avocat d’Alain Carignon et spécialiste en droit public, s’étonne du déroulé judiciaire : « Cette affaire a connu un développement très étrange. L’enquête préliminaire a été ouverte par le parquet de Valence en mai 2018, après un signalement de la Chambre régionale des comptes. Une plainte a été instruite par deux membres de l’opposition. Ça a donné lieu à une investigation, mais les plaintes ont été jugées irrecevables par le juge d’instruction. Curieusement, l’affaire revient et Éric Piolle s’est retrouvé en garde à vue alors que la plainte date de 2019 et avait abouti à des perquisitions. Les lenteurs du parquet de Valence sont inexplicables. Depuis deux ans et demi que les faits sont établis aucun juge n’est encore saisi… »
"UNE TENTATIVE D'EFFACEMENT DE PREUVES"
Alexandre Bertolini enfonce le clou : « Si Éric Piolle tente de réduire cette affaire à un aspect technique, mal maîtrisé par l’opinion, la cour des Comptes parle bien d’un problème de « favoritisme » dans son rapport de 2018. « Médiatiquement, son discours porte sur un aspect technique, mais c’est bien d’une décision politique dont il est question. Un certain nombre de médias le couvrent, alors même qu’il y a eu une tentative d’effacement des preuves», avance Alain Carignon. « C’est une manière de noyer le poisson, si la police est intervenue ce n’est pas pour les aspects techniques de non mise en concurrence pour des marchés publics, mais pour une affaire de favoritisme ou de faux en écriture publique », confie une source proche du dossier à Valeurs actuelles.
LE CONTRIBUABLE EST LÉSÉ
« L’association Fusées est bien constituée d’amis politiques d’Éric Piolle, soutient Alain Carignon : « Ça concerne le contribuable. Il a recruté des membres de cette association qui collaient ses affiches. Les factures de collage d’affiches dans le compte de campagne de Piolle le montrent. » Un des dirigeants de l’association, Pascal Auclair, était membre de son comité de soutien avant les élections municipales de 2014. La dernière soirée électorale du candidat Piolle avec ses équipes lors des municipales en 2014 aurait même eu lieu au domicile de Pascal Auclair d’après Guy Tuscher, ancien membre de la majorité municipale qui a participé à la campagne électorale.
UN CONTRAT VILLE POUR LA DIRIGEANTE de L'ASSOCIATION
« Dans le cadre de la première édition de la « Fête des Tuiles », la commune a recruté des personnes membres de l’association Fusées, « pourtant titulaire du marché », souligne la chambre. Une des fondatrices et co-dirigeante de l’association a été recrutée par la commune du 15 mars au 30 juin 2015 « sur un fondement juridique inopérant ». Cette dernière a confirmé à la chambre qu’elle coordonnait la manifestation pour la commune, « or, il ressort d’un ensemble de documents de communication qu’elle a participé à l’élaboration du projet ‘Révolution en cours’ pour le compte de l’association ».
DEUX AUTRES RECRUTÉS PENDANT LA PASSATION DU MARCHÉ
"Deux autres membres de l’association ont été recrutés par la commune en 2015, dont l’un pour trois mois sur le grade d’attaché territorial. La mairie a indiqué que cette personne « n’a pas été directement associée à la préparation ni au déroulé de la ‘Fête des Tuiles’ pour le compte de la ville », note la chambre, « mais son dossier mentionne de façon répétée la participation à cette manifestation ».
DES RECRUTEMENTS SANS JUSTIFICATION DE FONCTION
« Ces recrutements ont conduit à transférer à la commune la charge de leurs rémunérations, soit, au moins, 25 000 euros bruts, alors qu’un marché public avait été conclu. En 2016, le même procédé a été utilisé puisque la commune a recruté la chargée de production chez Fusées, sur le grade d’attaché territorial, pour quatre mois, sans que l’ordonnateur ait été en mesure de préciser le contenu de ses fonctions », explique la chambre régionale des comptes.
LE CONTRAT SIGNÉ APRÈS LE DÉLAI DE REMISE des OFFRES
"La commune a également fait appel à un prestataire extérieur pour la direction technique de l’événement en 2015 et 2016, recruté par l’intermédiaire de l’association, sous le statut d’intermittent du spectacle, et non via sa société, « sans procédure de publicité et de mise en concurrence ». À ce sujet la chambre dénonce les pratiques de la mairie en 2016 : « Le règlement de consultation prévoyait une date limite de remise des offres le 4 avril 2016, tandis que le devis de la société a été reçu en mairie à une date ultérieure selon les tampons de la mairie. Ce devis, signé par le directeur général des services et donc valant contrat, a fait l’objet d’une tentative d’effacement des dates de réception. Cette manœuvre a permis de ne pas faire figurer de dates incohérentes dans le document archivé ( la seule date apparaissant alors est le 31 mars compatible avec la procédure). »
" UN ARRANGEMENT ENTRE AMIS" : 400 000 €
"Enfin, l’information relative au coût de la prestation a été particulièrement fluctuante. La délibération du 26 mai 2015 approuvant les conventions avec les associations Fusées et Afric Impact mentionnent un budget de 200 000 euros. Finalement, le budget s’établira à 390 353 euros. « Ça en dit beaucoup sur la manière dont la ville est gérée », fustige Alain Carignon, alors que Grenoble a longtemps été présentée comme la ville laboratoire des écologistes. « C’est clairement un arrangement entre amis », estimait un ancien élu de la majorité auprès de l’AFP le 1er juin, qui évoquait des « relations fortes » entre l’édile et l’association Fusées. D’ailleurs, la collaboration entre la mairie et Fusées continue, malgré les faits révélés par la chambre régional des comptes : cette année le collectif est lauréat de l’appel à projet de Grenoble Alpes-Métropole « Art-Montagne-Transition » pour son projet artistique « Les Perspectives De l’Escargot ».
Vers un renvoi devant le tribunal correctionnel ?
« Il risque une condamnation pour favoritisme, et les dates de réception des devis ont été trafiquées pour légaliser à posteriori les documents après l’événement de 2016 : on ne sait pas par qui mais c’est un faux en écriture publique. La suite logique ce serait un renvoi au tribunal correctionnel. Ça peut-être une amende, une peine de prison ou une condamnation à de l’inéligibilité à l’arrivée », précise Thierry Aldeguer. Déjà dans l’oeil du cyclone après son rétropédalage sur le « mois décolonial » organisé en ce mois de juin dans sa ville, l’édile écologiste traverse un moment trouble à moins d’un an de l’élection présidentielle » achève Alexandre Bertolini.
Vous avez dit « moment trouble ? « . Pas impossible qu’avec la nouvelle enquête le moment ne se prolonge.
(1) Valeurs Actuelles du 14 juin 2021